Libellés

LA NOTE D'INTENTION DE L'ALBUM "3 POUMONS"

erwan co 3 poumons
Quand j’ai annoncé à mon producteur que je voulais sortir un disque - le troisième - il m’a regardé avec un air que je connais bien : dubitatif. Il sait aussi, quand j’ai une idée en tête, qu’il est difficile de me faire changer d’avis. Au bout de quelques secondes il a dit : « tu connais l’état du marché, et ton projet n’est pas vendeur. Si tu veux un nouvel album tu dois y mettre une plus-value».
Il avait raison, on ne produit pas à perte indéfiniment. Mais j’avais besoin de cet album pour continuer à exister aux yeux de la presse et du public.
Depuis deux ans j’analysais les choses. Je savais que mon premier opus avait bénéficié d’un effet de surprise et d’un large soutien du réseau. J’avais appréhendé, pour le second, un certain échec commercial qui n’avait pas manqué. Il semblait raisonnable de penser que le prochain mettrait encore le label plus en difficulté. J’étais assis sur la branche, et je voulais, moi aussi, trouver une solution pour augmenter les ventes.
Celle que je lui proposai était simple : il s’agissait de joindre au disque un objet littéraire - disons un essai - avec comme thématique la production et la création. Ce serait, pour la mise en abîme, autobiographique.
L’idée l’a interpellé. Il s’est demandé, d’abord, si je ne sombrais pas dans le narcissisme. Puis si j’étais capable d’écrire autre chose que des chansons. Enfin, et assez vite, il s’est décidé. Après tout j’avais montré des qualités en tant que parolier, pourquoi ne pas les tester sur un format plus long.
Ainsi j’avais gagné. Mes velléités artistiques n’étaient pas enterrées, pas encore. Et j’ose penser que ça ne lui déplaisait pas, au producteur, qu’il n’avait pas oublié pourquoi trois ans plus tôt il m’avait signé.
Abattre une carte. Comme si c’était la dernière. Comme si je jouais ma vie. J’allais me servir de ce ressort dramatique pour écrire une histoire. Mon histoire.
L’enjeu était multiple. Officiellement nous tentions un coup marketing pour rester à flot ; moi sur le plan artistique, le label sur le plan économique. Mais intérieurement je profitais de l’évènement discographique pour avancer mes pions sur le terrain de l’écriture, et pour injecter du sang frais dans ma pratique artistique, car mes deux premiers albums m’avaient émoussé.
Ainsi je commençais la rédaction de cet essai, avec enfin la conviction que j’irai au bout, que cette fois je ne jetterai pas le bébé au cours du voyage. C’était ma grande difficulté : dans l’épreuve continuer à croire en l’idée du récit. Or, ici j’avais tout : un cadre simple, un terrain connu, un engagement et une échéance. Je connaissais le personnage, ses états d’âme. Mon producteur craignait un narcissisme exacerbé ? On verrait ça plus tard, à la publication. Pour l’heure j’étais ballotté comme à mon habitude entre pudeur et obscénité, à vouloir dire l’intime sans l’exhiber.
Alors que dire ? A quoi ça rime, décrire le processus de création ? A rien, ça casse le mythe. C’est justement pour ça qu’on détruit les brouillons, on efface les traces, pour parler d’inspiration. « Et toi, la page blanche, tu connais ? » Non, connais pas. La page elle est noire, j’y jette et je fais le tri. « Et le son ? » Le son c’est pareil, j’accumule et je fais le tri. A la fin, s’il reste quelque chose, ça doit m’émouvoir. L’émotion c’est tangible. L’inspiration, elle, est mystique. Et j’ai toujours détesté dieu.
Expiration, donc.

Il y a dans l’expression artistique une fonction d’exorcisme (j’adore ce mot). Elle permet d’extérioriser, de mettre à distance. Comme l’expression vise un public elle doit être entendue. Quand ce n’est pas le cas ça calcine. Alors évidemment, suite au feu vert du label, j’étais heureux d’arborer mon costume. J’avais un sursis, j’allais en profiter.
Notons quand même le paradoxe : je me plaignais d’être émoussé, je me réjouis d’y retourner. C’est que, après un séjour à la cave, faut se remettre en scène.
Certains attribuent à la création des vertus thérapeutiques. Je pense qu’elle est soupape, qu’elle donne un équilibre. Mais considérer qu’elle guérisse, ça dépend du sens du vent. Depuis un an je l’avais de travers, et si j’étais encore debout, c’est que dans son désordre feue l’ANPE m’épargnait ; d’autant que, pour ma conseillère, j’allais finir par percer (elle n’avait jamais écouté ma musique). Moi je n’y croyais plus, à part un peu d’amour je ne gagnais que dalle, et il fallait toujours faire plus. Jour après jour je m’enfonçais dans les marches.
Si la pratique artistique est donc une thérapie, j’avais le mauvais traitement, ou le mauvais producteur. Si elle est donc une thérapie, j’avais raison de profiter de cette galette pour porter plainte. Contre qui ? Contre X, XX, même XY. Une plainte ouverte, universelle, où chacun me reconnaîtrait. Mais j’entends d’ici la porte du bureau, les pas du producteur légèrement agacé.
Ça n’a pas loupé. M’a-t-il dit, sous prétexte de décrire le processus créatif, j’ai violé les règles de l’esthétique ; en démasquant la plainte j’ai franchi la barrière. Alors dont acte. Il est venu le temps du retour aux écrits, où le vers porte un mot et pas plus. Car, en limant le matériau sémantique, mal armé qu’on était pour plaire au début, on finit par faire croire en un certain talent, en une certaine pudeur, elle qui se liquéfie dès qu’elle perd la mesure. Il est venu le temps de retourner aux chants, je vous invite à quitter ce feuillet, en m’excusant pour l’intrusion. Vous auriez une requête, adressez-vous au producteur ; il en a après moi. Semble-t-il j’ai manqué à tous mes engagements, en ne parvenant pas à plus-valuer mon disque, ni à répondre aux thématiques. Cependant, j’aime autant vous avoir dans mon camp : après tout j’ai cherché à me vendre, même si les résultats sont contestables, et contestés.

erwan co 3 poumons